[Alboss] Intéressons-nous au Kosovo…

Je vais donc, par ce billet, participer, moi aussi, à l’intérêt subit à l’effet du Kosovo. On ne parle, depuis la fin de la guerre, de ce pays que lorsqu’il pose problème. Et une problématique, plus que d’autres, semble revenir inlassablement et retenir l’intérêt des médias, qu’ils soient français ou plus largement occidentaux. C’est le problème du trafic d’organes. Et évidemment, comme tout sujet épineux, il fait son come back dans des périodes tout aussi épineuses. C’est ainsi que Dick Marty, un sénateur suisse, a rendu un rapport demandé par le Conseil Européen et sa Commission des questions juridiques et des droits de l’homme à l’intitulé très vendeur : « Traitement inhumain de personnes et trafic illicite d’organes humains au Kosovo. » Au terme d’une pseudo enquête, on apprend donc qu’il y aurait eu un trafic d’organes sur des prisonniers serbes, retenus dans des prisons au Nord de l’Albanie, au cours de l’année 1999 qui marque la fin de la guerre dans le pays.

D’où est parti ce rapport ? Eh bien d’une allégation de Madame Carla del Ponte, ancienne Procureure du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (le TPIY). A l’issue de son mandat à la tête de ce tribunal, Madame del Ponte, dans un livre sobrement intitulé « La traque, les criminels de guerre et moi », lance alors une grave accusation à l’endroit de l’UCK (l’Armée de Libération du Kosovo) et de son autoproclamé dirigeant politique d’alors, Hashim Thaqi, Premier Ministre du Kosovo aujourd’hui. Del Ponte lance tout bonnement un pavé dans la marre, mais sans jamais tenir le quart d’une preuve pour soutenir ses propos extrêmement accusateurs. Sa porte-parole, autrement dit une personne de confiance, dans les jours qui suivent se fend d’un communiqué pour démentir formellement les folles dénonciations de sa supérieure. Mais, que voulez-vous. Lorsqu’en tant que Procureure de l’un des tribunaux les plus importants pour des crimes de guerre après la Seconde Guerre Mondiale, on ne parvient pas à empêcher le suicide de Slobodan Milosevic, donc sa condamnation, l’arrestation de très hauts responsables de l’armée serbo-bosniaque et serbe (dont Ratko Mladic), que l’arrestation de Radovan Karadzic n’est que le fruit d’une manœuvre politico-politicienne serbe et non d’une réelle volonté du TPIY, on tente de masquer le bilan en demi-teinte en proférant des accusations sans le moindre fondement.

Accusations donc reprises par le bien nommé Marty Dick. Je me suis toujours questionné sur le timing qui était choisi pour la publication de ces rapports. Celui-ci est publié alors que les premières élections législatives kosovares depuis l’indépendance du pays, le 17 février 2008, viennent de prendre fin. Le Parti Démocratique du Kosovo(PDK) de Hashim Thaqi en est sorti gagnant d’après les résultats préliminaires, avec 33,5% des suffrages. Des élections qui viennent mettre un terme à une profonde crise politique et institutionnelle qui ne pourrait qu’être prolongée par ce rapport.
Mais, ces élections ne sont pas neutres. Elles interviennent à l’orée de nouvelles négociations entre la jeune République du Kosovo et celle de la Serbie. Si les pourparlers au sujet du statut désormais défini du Kosovo ont définitivement pris fin avec le verdict de la Cour Internationale de Justice le 22 juillet 2010, il subsiste quelques questions d’ordre pratique, dont une d’envergure. En effet, le Nord du Kosovo, notamment le nord de la ville de Mitrovica, n’est pas sous souveraineté kosovare. La justice peine à s’y installer, les forces de l’ordre kosovares n’y opèrent que de concert avec celles internationales de la KFOR et les frontières sont de vraies passoires. Et c’est cette partie du Kosovo qui pourrait phagocyter toute l’attention des discussions qui seront menées très prochainement. La Serbie souhaiterait au pire une scission du Kosovo et un rattachement au territoire serbe de Mitrovica-Nord, peuplée majoritairement de Serbes, et au mieux, un statut spécifique. C’est évidemment inacceptable aux yeux du facteur politique international, et notamment des Etats-Unis.
Comprenez donc qu’en sortant vainqueur de cette élection, c’est monsieur Thaqi qui sera le représentant de l’intérêt Kosovar à la table des débats…

Ce rapport tombe donc comme un cheveu sur une soupe déjà peu appétissante. Et, personnellement, je n’appelle pas ça autrement qu’une tentative de déstabilisation aussi bien du pouvoir kosovar que du processus de négociation qui doit mettre un terme définitivement aux discordes continues entre serbes et albanais sur certains sujets. D’autant plus qu’il s’agit d’un rapport compilé par un fervent opposant à l’indépendance du Kosovo, pourtant jugée légale par la CIJ, comme je le disais précédemment. Tout comme il a été un fervent opposant aux frappes aériennes de l’OTAN sur la Serbie. Monsieur Marty est proserbe, et il ne s’en est jamais caché, ni ému il y a de cela dix ans. Aussi, Dick Marty n’a de cesse de marteler dans son travail rendu au Conseil Européen qu’il ne faut pas considérer les faits sous un prisme manichéen. Il n’y a pas, selon lui les méchants serbes d’un côté et les innocents kosovars de l’autre. C’est une réelle volonté de mettre sur un même piédestal serbes et kosovars. C’est le leitmotiv du rapport de Marty. Dans la perspective de négociations futures, il est évident que cela ne peut qu’entrer en ligne de compte dans l’argumentaire serbe pour décrocher le gros lot : un statut à part entière pour Mitrovica-Nord. Au prix de quelques macabres arrangements, Thaqi pourrait très bien n’être jamais inquiété s’il ne s’opposait pas à cette idée.

Revenons au rapport en lui-même. Il est dit accablant. Mais, il n’y a pas le début d’un quart de moitié de preuve ou de fait dans ce que Monsieur Marty veut bien nous relater. Il est question de trafics d’organes dans une des régions les plus pauvres d’Europe. D’une part, ces prélèvements auraient donc eu lieu dans la « Maison Jaune », située à Burrell, en Albanie. Un chirurgien, et qui plus est serbe, est venu discréditer la thèse. Il est en effet impossible de procéder au prélèvement d’organes dans une maison vétuste, largement sous-équipée et qui ne réunit pas les conditions de stérilité nécessaires aux interventions chirurgicales de cette importance. Sans compter qu’une équipe de 50 personnes compétentes est nécessaire pour procéder à de telles interventions. Et lorsqu’il est ajouté que certains prélèvements étaient effectués sur des prisonniers exécutés, on ne peut qu’en rire.
Ce rapport est censé accabler l’UCK. Seulement, les accusations portent sur la période de l’été 1999. Le Kosovo est à l’époque libérée des forces militaires serbes, et la situation profite à la plus détestable forme de l’opportunisme qui puisse exister. Certains Albanais se sont en effet livrés à des crimes isolés contre les populations serbes qui n’avaient pu fuir le pays et qui étaient jusque là protégées par les forces serbes. Mais cela n’implique en aucun cas l’UCK en tant qu’armée organisée et qui n’a jamais émis le moindre ordre en ce sens. Et les institutions kosovares ont été les premières à juger celles et ceux qui ont été accusés pour ces mêmes crimes. Là où celles Serbes n’ont pas bougé le petit doigt pour l’arrestation de certains haut responsables de son armée.

Dans ce rapport qui sonne donc creux puisque dépourvu de toute base, de tout fondement, de tout début de preuve, Dick Marty s’emploie dans l’exagération. Je cite : « A cela s’ajoute la peur, souvent une véritable terreur, que nous avons constatée auprès de certains de nos interlocuteurs dès que nous touchions le sujet de nos recherches. » ou encore « Au Kosovo, tout le monde le sait, mais personne n’en parle, c’est un sujet tabou. » Je dois dire que nous avons découvert le problème du prétendu trafic d’organes en même temps que les autres pays occidentaux. Pour autant, la prétendue terreur n’existe pas. Cette affaire a souvent fait les premiers titres des journaux kosovars sans qu’aucune enquête journalistique n’ait pu aboutir à un faisceau de preuves. Il n’y a aucune forme de terreur qui contraint la parole des Kosovars.

N’oublions pas qu’aujourd’hui, un autre ancien Premier Ministre Kosovar est retenu au Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie. Il a été, lui aussi accusé et jugée pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Devinez quoi, il a été acquitté sans le moindre mal. Seulement, et c’est du jamais vu dans l’histoire du tribunal, son procès sera révisé. Et ce même après un acquittement ! Il en sortira évidemment à nouveau blanchi.
N’oublions pas que des membres de la mission européenne pour la justice et l’ordre (EULEX) ont été arrêtés aux frontières du Kosovo, par des policiers Kosovars, en possession de plusieurs kilogrammes de cocaïne. Seulement, aucune procédure judiciaire n’a pu être intentée contre ceux-ci. En effet, les membres de l’EULEX, comme de l’ancienne Mission Intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK), ne sauraient répondre de leurs actes et méfaits devant la loi du pays dans lequel ils sont censés la faire appliquer. Aussi, lorsque deux manifestants albanais sont tués pour de simples débordements par des policiers de la MINUK, ceux-ci ne sont jamais poursuivis. Et le Conseil Européen ne fait appel à aucun rapporteur pour élucider certaines affaires de corruption qui gangrènent les hauts dignitaires des missions internationales au Kosovo. Il serait fort intéressant d’y regarder de plus près et de chercher à savoir où vont réellement les fonds que l’Union Européenne investit au Kosovo depuis les années 2000.
N’oublions pas qu’aujourd’hui encore près de 2 000 personnes demeurent disparues  depuis la guerre du Kosovo. Et ce, à nouveau, dans l’indifférence générale.
N’oublions pas une seule chose, le peuple Kosovar s’est battu dignement pour sa liberté, pour son indépendance et contre la véritable terreur et la dictature de Slobodan Milosevic. Il n’y a peut-être pas de méchants et d’innocents, mais c’est le cas dans toutes les guerres. Pour autant, il ne faudrait pas inverser les rôles. La justice doit s’appliquer à tous, pour autant, le discrédit et l’opprobre ne peuvent pas être jetés sur une cause noble que fût la guerre du peuple kosovar par un rapport ignominieux et tendancieux.

À propos S. Z.
24 ans. Etudiant en droit à l'Université de Rouen. Je cours après l'actu des médias, de la politique et du foot. Et parfois, je donne mon avis.

7 Responses to [Alboss] Intéressons-nous au Kosovo…

  1. Vlad says:

    Alboss, vous mélangez tout dans votre article fort documenté au demeurant. Pour l’instant pas de preuves, OK. C’est votre dernier paragraphe qui me chagrine particulièrement : qui parle d’inverser les rôles ? On parle d’enquête internationale, cela vous chagrinerait-il qu’on découvre que l’UCK n’est pas blanc-blanc ? Laissez donc l’enquête se faire. Si vous jugez ignominieux et tendancieux le rapport de Marty que ne devrait-on dire de votre article pour le coup très partisan anti-serbe ?

  2. Alboss says:

    Je n’assume aucune responsabilité politique, moi. J’ai la parole libre. C’est un billet et non un rapport que j’écris.

    Quant à l’UCK, comme je le dis, je suis pour que la justice s’applique à tous. Seulement, les faits que dénonce Marty ne sont pas imputables à l’UCK, ce n’est pas parce que certains autoproclamés dirigeants politique de l’UCK ont peut-être commis des horreurs, que l’UCK en est responsable. Il n’y a eu aucune commande donnée en ce sens par l’UCK, et cela plusieurs enquêtes l’ont déjà révélé. Donc, celui qui mélange volontairement tout dans son rapport c’est bien Monsieur Marty. Dans l’unique but d’enfumer un peu l’opinion publique au sujet d’un dossier particulièrement technique.

  3. Vlad says:

    Qui parle de système généralisé commandité par l’UCK ? Ce n’est pas ainsi que j’ai compris ce rapport, ce rapport incrimine un groupe de responsables de l’UCK dont Hashim Thaçi.
    D’ailleurs Alboss, La Serbie a déclaré qu’elle n’inculpera pas, dans le cadre de la procédure, le Premier ministre kosovar, Hashim Thaçi mis en cause dans ce rapport, ceci afin d’éviter qu’on lui reproche de vouloir intenter un procès politique. Il y a près de 500 disparus, 500 familles qui veulent connaitre la vérité sur la mort de leur proche. Est-ce ignominieux ou tendancieux que de bien vouloir tenter de leur apporter une réponse ?

  4. Alboss says:

    Très bien. Que fait-on des 2 000 familles albanaises qui attendent la vérité sur la mort de leurs proches ? Ou qu’a-t-on fait plus précisément depuis 10 ans ?
    Ce que je dis dans mon billet, c’est que c’est à la justice de répondre de cette affaire et certainement pas au Conseil Européen. Pourquoi politiser cette affaire maintenant ? Pourquoi précisément maintenant ? Tu crois que les familles serbes vont apprécier qu’on utilise le sort non élucidé de leurs proches à des fins politiques ?

    Et la Serbie ne saurait arrêter Monsieur Thaqi, Boris Tadic, le président serbe, n’est lui aussi qu’un pantin des internationnaux. Il est, comme son gouvernement, rongé par la corruption aussi. Messieurs Thaqi et Tadic sont dans le même sac. Ce sont les pions d’une même organisation mafieuse.
    Ce n’est pas pour autant que les peuples serbes ou kosovars doivent en payer le prix. Et quand tu dis que le rapport ne remet en cause que certains responsables de l’UCK, tu as raison. Mais y a deux soucis, le premier c’est qu’il ne cesse de rappeler que les torts de la guerre sont partagés. Ce qui est absolument immonde. L’autre souci, c’est que Monsieur Marty ne communique pas de cette façon sur son rapport ! Et les médias ne cherchent malheureusement pas non plus à faire le distingo…

  5. Vlad says:

    D’accord pour virer le politique. De toute manière ils foutent toujours la merde ces politiques. L’enquête sur ces présumés trafic d’organe suit son cours depuis pas mal de temps, je ne sais pas en revanche si Marty en parle précisément maintenant pour des raisons purement politiques. Je serais moins formel que toi là-dessus. Tadic homme de paille ? Pas faux. Mafieux ? Possible. Mais pourquoi veux-tu donc l’associer avec Hashim Thaçi ? Parce qu’on parle bien du trafic d’organe là…?

  6. Alboss says:

    Non, je l’associe pas à Hashim Thaqi. Je dis juste qu’ils sont tous les deux des pions d’organisations mafieuses. Ils ont chacun leurs intérêts propres. Mais, ils ne se taperaient jamais dans les pattes tant ces intérêts peuvent parfois converger, si tu vois ce que je veux dire. Je ne mêle pas Tadiq au trafic d’organes.
    C’est un dossier extrêmement complexe. Je continuerai surement avec d’autres articles, tant il y a de choses à dire.

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